La bienveillance, un mot omniprésent depuis les dernières années.
En tant que professionnelles et aussi en tant que femmes et mamans, nous avons dû réfléchir réellement au sens du mot et nous avons dû l’explorer en profondeur afin d’y attacher un contexte.
Au-delà des définitions, le mot bienveillance nous inspire tout ce qui entoure le cœur et les émotions. C’est le caring, c’est de considérer, c’est de prendre soin de. C’est d’être et d’agir whole hearted, le terme de Brené Brown signifiant de tout cœur.
La bienveillance, c’est l’ouverture du cœur et de l’esprit à soi et à ceux qui nous entourent.
Alors que l’on pourrait penser qu’il s’agit d’un terme à la mode, c’est beaucoup plus que ça. Notre société a évolué de par ce caring et en absence de ce caring, on constate qu’elle dépérit. L’armure du cœur, soit la difficulté de ressentir les émotions ou le fait de ne pas les ressentir suffisamment, est la source de la majorité des enjeux que nous rencontrons actuellement. De l’anxiété, à la dépression, en passant par la violence et l’intimidation.
Dans une ère où la bienveillance est galvaudée, il est important d’amener le contexte et les nuances nécessaires pour développer une relation avec elle. C’est en particulier le cas pour ce qui entoure la parentalité bienveillante.
Sans bien comprendre sa signification et les nuances qui l’entourent, il n’est pas rare qu’un parent puisse se sentir un peu confus, frustré et même anxieux vis-à-vis de la bienveillance.
En effet, par moment, certains parents nous partagent leur inconfort avec l’approche bienveillante. Ils mentionnent que l’approche elle-même leur fait plus de mal que de bien. Ils soulignent que l’approche les place en situation d’échec, créant ainsi un sentiment de ne pas être suffisants dans leur parentalité. Ceci leur laisse croire que c’est la bienveillance qui occasionne en eux ces émotions parfois inconfortables.
Nos cœurs vont à tous les parents et professionnels qui portent à l’intérieur d’eux le poids de ne pas se sentir assez. Et bien que nos cœurs soient remplis de compassion et d’affection, bien que nous accueillons chacune des histoires des parents, nos têtes savent aussi que la réponse au sentiment de détresse vécu n’est pas d’éviter la science du cœur, la bienveillance. Plutôt, il s’agit d’avoir le contexte et les nuances nécessaires pour supporter un voyage de conscience et ainsi développer une relation avec nos émotions.
Un parent au cœur sensible et empathique qui aspire à ne pas crier peut en effet ressentir de la culpabilité lorsqu’il crie. Cette culpabilité évoquée à l’intérieur de lui provient de l’écart entre ce qu’il souhaiterait faire et ce qu’il ne réussit pas à faire par moment. Tandis qu’il ne reste pas bloqué dans son émotion et qu’il n’a pas d’armure contre sa tristesse, la culpabilité devrait agir telle une boussole interne pour reprendre son chemin ensuite.
Il faut ainsi comprendre que la bienveillance se décline en deux niveaux : il y a l’approche bienveillante et il y a l’être et l’agir bienveillant.
L’approche bienveillante, pour nous, réfère à la science qui soutient la connexion, l’attachement, le cœur ainsi les émotions de nos enfants et de nous-même. Cette approche découle de théories, d’informations et de données. Ce qui y est mis en lumière nous sert de cible : ça nous aligne, nous dirige et nous sert d’appui lorsque, par moment, nous nous sentons mélangés.
Les connaissances véhiculées par l’approche bienveillante nous semblent essentielles dans un monde où nous sommes témoins d’un déclin de la santé émotionnelle de nos petits, de même que de nous les grandes personnes qui en prennent soin.
Alors qu’une approche bienveillante considère le cœur, elle permet également d’éveiller nos instincts pour qu’ils soient liés à notre conscience. Considérer le cœur nous amène à grandir et à ajuster notre danse avec nos enfants. Par exemple, si nous avons grandi dans une famille où nos parents nous rabaissaient ou nous punissaient lorsque nous n’écoutions pas les consignes, notre conscience de la bienveillance est notre seule façon de ne pas reproduire les mêmes patrons.
Mais, ici, il est si important de souligner et de normaliser l’écart qui peut varier entre l’approche bienveillante et nos actions qui, elles, ne peuvent tout simplement pas être toujours bienveillantes.
Être et agir avec bienveillance, pour nous, c’est d’être et d’intervenir d’une place où nos propres défenses sont adoucies, voire non activées. Où nous nous retrouvons à l’extérieur de nos propres blessures et de notre réactivité. Ainsi, alors que nous développons une relation avec notre propre frustration, nous pouvons passer de crier systématiquement à notre enfant qui s’oppose à une posture plus mature où, habituellement, on est en mesure d’établir des limites avec compassion.
Nous pouvons être remplis d’intentions bienveillantes et ne pas pouvoir toujours être cohérents en action. Par moment, nous sommes confrontés à nos propres limitations, là où coexistent notre envie de faire et notre capacité de faire. Pour certains parents, c’est d’avoir envie de passer plus de temps seul avec l’enfant aîné alors qu’ils se retrouvent dans une saison de vie plus chargée où bébé est si malade et où ils se sentent plus fatigués.
Nos propres histoires de vie ainsi que le fait même d’être humain expliquent le fait qu’on ne pourra pas toujours être bienveillant. La parentalité est sans équivoque une opportunité de croissance là où pour faire grandir au mieux son enfant, le parent grandit à son tour au travers des imperfections et des aléas de la vie. Nous ne pouvons pas être parfaits et il y a des moments où nous ne serons pas à la hauteur. Il faut vivre nos deuils afin d’être en mesure d’être libéré de l’angoisse et de la honte que l’on tend à placer sur le dos de la bienveillance. L’approche bienveillante n’est pas responsable des émotions.
Dans un monde qui a désespérément besoin de plus de caring, de plus de protection et de plus de maturation, faisons une place saine à la bienveillance.
Développer sa conscience n’est pas toujours facile : ça vient avec beaucoup de sentiments messy. Pour certains, la conscience ne peut être prise que par petits bouts à la fois car la compréhension de ce qu’il faut offrir à nos enfants ou de ce que nous avons nous-même reçu lorsqu’enfant peut tout simplement être trop lourde à porter. C’est difficile de réaliser ceci et de tout de même prendre responsabilité de nos enfants au mieux, incluant de se relever quand, inévitablement, on tombe ou de réparer quand, inévitablement, on blesse.
Et comme dans toute chose, la dualité est essentielle. Ce n’est jamais de tomber dans le piège de la perfection et du martyre, mais plutôt de continuer notre voyage en ressentant notre tristesse par rapport aux choses que l’on aurait souhaitées différentes tout en cultivant à l’intérieur de nous le désir de relever les défis de la parentalité et de s’élever soi-même. Avec la déception vient la guérison. La conscience est la clé qui permet à notre tête de mettre en mots ce que notre cœur sait déjà.
Dans notre parcours professionnel, nous choisissons de partager nos connaissances pour aider les parents et les professionnels à être plus informés, plus connectés à eux-mêmes et à leurs enfants pour un avenir plus sain. Plus la bienveillance est partagée, intégrée et incarnée, plus l’écart entre l’approche bienveillante et l’être et l’agir bienveillant sera moins grand, laissant ainsi nos enfants dans un monde où il y a moins de souffrance et de blessures.
Nous devons être des parents de cœur car l’amour, à lui seul, ne suffit pas. La bienveillance n’est pas seulement une question d’amour : tous les parents aiment leurs enfants, mais ce ne sont pas tous les enfants qui peuvent le ressentir.
La bienveillance, pour nos enfants tout comme pour nous, ne s’apprend pas, ne s’enseigne pas, ne se commande pas. Plutôt, ça se cultive au travers d’expériences répétées d’être pris soin de, d’être cared for, d’être marinés dans une relation où les émotions et le cœur ont leur place.
Karolann Robinson, D.Psy.
Krysta Letto, M.Sc.
Bonjour,
Merci pour cet article qui touche directement mes réflexions.
J’aimerais avoir des précisions quand vous dites qu’il y a “un déclin de la santé émotionnelle de nos petits”. À quoi faites-vous référence directement ? Avez-vous des études à me conseiller ? Le sujet m’intéresse 😊.
Vous dites aussi que “l’approche bienveillante n’est pas responsable des émotions”. L’approche, je ne sais pas, mais parfois, le discours des spécialistes qui en font la promotion, oui.
Lorsque présentée de façon très prescriptive et précise (comme dans la majorité des textes et des livres que j’ai lus), la parentalité bienveillante ne tient pas compte des ressources limitées, du contexte et du parent.
Les promoteurs de la parentalité bienveillante déclarent souvent qu’il est tout à fait normal de pas être bienveillant 100% du temps. Toutefois, en même temps, ils décrivent souvent des scénarios catastrophes si des parents ont des pratiques jugées non-bienveillantes. Très souvent, un petit ensemble de comportements est jugé « adéquat » et tous les autres comportements « non-bienveillants » sont présentés comme étant dangereux pour le développement de l’enfant. Ce sont ces scénarios catastrophes qui créent de l’anxiété chez les parents.
Par exemple, selon certains spécialistes, être un parent bienveillant c’est laisser choisir son enfant du moment où il sortira du bain et « imposer » un temps de sortie, c’est être violent et c’est dangereux pour l’autonomie, l’estime de soi, etc. Vraiment, la science dit ça ? Également, j’ai lu plusieurs fois des écrits de spécialistes indiquant qu’une nuit de 5-10-15 va “scraper” l’attachement d’un enfant (alors qu’à ma connaissance, les études ne soutiennent pas cette affirmation). Stresser les parents inutilement, ça n’aide pas à soutenir le bien-être des enfants.
Oui, les parents doivent accepter de vivre leur tristesse et leur déception quand leurs pratiques ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. Apprendre et désapprendre, c’est très émotif. En même temps, on pourrait dire que ce n’est pas dangereux d’avoir crier après son enfant la semaine dernière. Ce n’est clairement pas l’idéal, mais ça ne met pas en péril le développement de leur enfant. J’invite les personnes qui font la promotion de la parentalité bienveillante à évaluer leur discours et à ne pas présenter des scénarios catastrophes non-appuyés par la science.